
Mais voilà, en tant que femme, alors qu’il m’arrive –souvent par obligation, parfois par choix– d’incarner des hommes dans les jeux vidéo, sans pour autant décrocher de l’histoire, Catherine m’a laissée démunie. De tous les jeux que j’ai pu expérimenter, c’est le premier où il m’est arrivé de me demander si cette histoire s’adressait bien à moi. De me sentir totalement extérieure et exclue face à l’histoire qui se déroulait devant mes yeux. D’être en désaccord, sans que le gameplay me permette de faire « entendre » ce désaccord.
Ma première réaction ? Me dire que ce jeu était « fait par des hommes et pour des hommes ». Entre Katherine et Catherine, j’avais l’impression que les deux modèles de femmes qui s’offraient à moi était d’un côté la « stabilité », avec son envie de mariage, d’enfant, son caractère maternel irritant, qui rappelle sans cesse ce qu’il faut faire, qui gronde à l’achat d’un nouveau gadget… Et de l’autre la « liberté », tout simplement représentée par… une succube.
Vous me direz, ce n’est pas le premier jeu qui simplifie les rôles à l’extrême, mais lorsqu’on entend traiter d’un thème aussi complexe et « réel » que les couples et l’infidélité, cela devient plus gênant que lorsqu’il faut décimer une armée de zombies en folie.
Mais après un petit temps de réflexion, je me dis que l’argument « par les hommes, pour les hommes » ne tient pas, ou, du moins, ne peut pas être la seule explication. Que, si le héros avait été réalisé avec subtilité, qu’importe son sexe ou son genre, j’aurais pu m’immerger dans cette histoire. Ici, entre peur de l’engagement, de la paternité, immaturité, indécision, peur des responsabilités… Rien n’est épargné au personnage, qui devient un véritable stéréotype sur pattes. Une sorte d’amalgame de tous les clichés lus et entendus sur la prétendue « psyché masculine ».
Et c’est ce qui me fait dire que le « par des hommes, pour des hommes » ne tient pas seul : ce stéréotype sur pattes m’a rappelé la raison pour laquelle j’ai totalement abandonné la lecture de magazines féminins, où, là aussi, les hommes sont souvent cantonnés à ce rôle de gamin immature et indécis dont on attendrait sans cesse une prise de responsabilités. Les articles dessinent alors, en filigrane, un modèle de femme tout aussi rigide et cadré…
Cette insistance sur les peurs du héros face à deux femmes dont les rôles semblent tout à fait établis m’ont vraiment donné l’impression que toutes ces peurs ne pouvaient être ressenties par ces personnages masculins. Le tout renforcé par des questions dont les réponses vont toujours par paire, ce qui entretient encore une fois l’impression de n’avoir que « deux voies » possibles. Pour un jeu dont l’objectif était de traiter d’un thème complexe et personnel, je m’attendais surement à pouvoir m’exprimer d’une manière beaucoup moins formatée.
Voilà donc quelques pistes, plus personnelles, qui font que, malgré l’animation soignée, le gameplay plutôt sympathique, l’histoire ne m’a vraiment pas convaincue, en me donnant l’impression de rester à l’exterieur du jeu. Le nombre important de cinématique (et d’absence d’interaction) y est surement pour quelque chose également…
Au final, si Catherine est parvenu a provoquer un sentiment en moi, c’est bien cette sensation d’étouffement, de carcan dont on ne peut sortir durant le jeu. On voudrait pouvoir dévier, ne serait ce qu’un peu, mais les rôles semblent tellement ancrés que, malgré les différentes fins, le tout donne une impression extrêmement statique.
5 commentaires
C’est marrant parce que moi aussi j’ai eu un problème pour m’incarner en Vincent, mais pas pour les mêmes raisons que toi. Si je résume, tu trouves que le propos est caricatural et manque de subtilité sur la psyché masculine. Vu les réactions de mes amis hommes (quasi) trentenaires sur le jeu (qui ont tous adoré, sans exception), je n’en suis pas si sûre, mais faudrait qu’un homme vienne en parler ici.
A titre personnel, le thème de l’hésitation entre deux êtres, et deux tentations (la sécurité et le ‘bien’, ou bien l’appel du risque et du ‘mal’ -à toi même et à l’autre personne que tu blesses en la quittant) me parle puisque ça m’est déjà arrivé. Seulement, mon curseur d’hésitation n’était pas entre « la maman et la putain » (Katherine et Catherine), mais plutôt entre « le mec gentil auquel on est attachée et le mec instable que l’on aime contre toute raison », et ça, je pense que c’est assez répandu chez une bonne partie des filles (ie « oui c’est un salaud mais je l’aiiiiimeeeeeuh » ou « oui il est gentil parfait mais je m’ennuie un peu, j’aime quand ça fait mal même si je me plains après d’être malheureuse »).
(Parenthèse : c’est d’ailleurs le thème de pas mal de « comédies romantiques » ces derniers temps : abandonner l’idée de l’homme-parfait-mais-salaud pour le mec bien. Si Sex and the City avait été écrit aujourd’hui, Carrie aurait fini avec le gentil Aidan et pas ce connard de Big :o)
Et c’est d’ailleurs assez marrant car même si j’ai eu du mal à totalement m’investir dans le rôle de Vincent (vu que mes hésitations n’ont pas été les mêmes), au final j’en suis arrivée à la même fin que dans la vraie vie : j’ai eu aucune des deux, à force de jouer sur les deux tableaux et au final de ne pas vraiment choisir.
C’est pour ça que je me prends à rêver à un Catherine adapté au public féminin :o
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Je glisse sur un autre sujet, mais je trouvais dommage qu’on ait pas vraiment le temps de s’attacher au couple Vincent-Katherine avant que l’autre ne déboule. Résultat tu n’es pas attaché à Kath, qui apparaît comme la grosse reloue de service, et donc tu te fiches un peu que le couple se casse la tronche. En tout cas je ne la supportais pas trop, et je faisais tout pour que mon curseur ne parte pas trop dans le bleu …
Je comprends tout à fait ! (Mais je pense que je suis déçue par le personnage car je pars du principe que « la psyché masculine » n’existe pas, et que la volonté de réunir autant de caractéristiques dans un seul personnage le rend finalement peu crédible à mes yeux.)
Je ne vais pas m’étendre sur des éléments chaotiques de ma vie sentimentale, il y a plein de raisons pour lesquelles je pensais vraiment que le jeu allait me parler et me plaire… Et pourtant, j’ai eu l’impression de ne trouver que peu d’écho entre « la vie la vraie » et ce que je voyais à l’écran. J’imagine que tout dépend de l’expérience et des attentes de chacun… C’est aussi pour cela que j’ai choisi de publier cette partie de l’analyse sur mon blog, et pas sur Playtime.
Pour Katherine, je suis tout à fait d’accord, je trouve que le personnage est poussé à l’extrême, cela donne l’impression d’un couple qui transpire l’ennui, la routine, les reproches… Elle est irritante au possible lorsqu’elle lui reproche l’achat d’un nouveau téléphone portable, ou lorsqu’elle ne cesse de s’occuper de sa vie : lui apporter de quoi manger, lui descendre ses poubelles, lui prodiguer des conseils sur sa vie quotidienne… Et puis, en même temps, elle a l’air finalement très sure d’elle même et de ses choix.
Allez, je le redis… A quand ce bébé tronçonneuse hurlant « MOMMY, I’M GONNA BREAK YOUR VAGINA ! » (tout aussi cliché, on est d’accord !)
Mais oui, il y a tant à dire sur les peurs féminines :D (et l’explosion de la chafoune par le bébé et la magnifique épisiotomie en font parti)
Après, oui, pour bien vivre l’expérience Catherine, faut avoir un certain vécu, du bagage, et si possible le même que Vincent, ce qui réduit pas mal la cible (et exclu les femmes). J’en ai discuté avec une autre joueuse qui elle a opté pour le « et si j’étais un homme, je ferais quoi » pour s’en sortir.
Après tout ça ne m’a pas empêché d’apprécier le jeu, mais j’ai le sentiment tenace que je suis passée à côté d’un truc, et ton avis vient me conforter dans ce sentiment
Histoire d’apporter un avis d’homme et de joueur ayant aimé le jeu, je dirai que la déception était inévitable si l’on s’attendait à une sorte de « simulation de vie de couple », avec des personnalités modulables en fonction des choix. Je serais curieux de voir ce concept poussé jusqu’au bout, mais je crois qu’on tomberait quasiment dans le domaine du serious game à la Facade, avec tous les bons et mauvais côtés que cela implique.
Au premier abord, j’ai aussi eu un peu de mal à m’identifier au héros et à me plier aux choix binaires sans en savoir plus sur la relation Vincent-Katherine. Mais pour avoir déjà tâté de plusieurs jeux de la team Persona, je m’attendais aussi à des relations assez caricaturales et des personnages très typés, ne laissant qu’une place réduite à l’expression de la personnalité du joueur. Sans généraliser, la vision des relations humaines par les Japonais, a fortiori des développeurs de jeux vidéo visant en priorité les adolescents/jeunes adultes, n’avait pas beaucoup de chance d’aller plus loin que ce que l’on voit dans Catherine. Les héro(ïne)s-coquilles existent très souvent dans les jeux nippons, mais il y a quasiment toujours une personnalité majeure définie par les PNJ : on découvre le caractère de son avatar à travers eux au lieu de le construire.
Dans cette optique, l’approche « caricaturale » sert juste à dessiner des contours de la relation entre Katherine et Vincent, à un moment-clé de leur histoire, en mettant l’accent sur l’urgence symbolique (les sept jours, les nuits de fuite, la transformation) et l’irréalité (les cauchemars, la succube, la déité régulant la reproduction). Les développeurs n’ont jamais visé l’exhaustivité, ils voulaient juste raconter une histoire rythmée avec une poignée d’interrogations très répandues à un moment de l’existence et quelques dialogues/chemins/fins différents pour donner un petit côté personnel à l’aventure.
Je trouve que le contrat est franchement bien rempli de ce côté et que le fait d’avoir limité les possibilités et les nuances au niveau du couple central a laissé de la place pour les personnages annexes. C’est là que tu découvres d’autres approches du couple, d’autres problématiques, d’autres inquiétudes. Je n’ai pas encore poussé une deuxième partie jusqu’au bout, mais j’ai mâté pas mal de vidéos et de compte-rendus de joueurs, avec des différences subtiles mais bien vues chez les PNJ. C’est ce genre d’attention aux à-côtés qui m’a vraiment séduit et qui fait passer la pilule du « manque de profondeur » de la relation du couple principal.
Ce que j’apprécie aussi beaucoup, c’est que derrière les gros sabots sur certains thèmes, notamment l’opposition maman/putain et engagement/infidélité, tu as beaucoup de petits détails, de non-dits qui te laissent deviner pas mal de choses sur la relation entre Katherine-Vincent. Et en même temps, ça renforce l’implication envers un idéal et des valeurs plutôt que vers une personne en particulier. C’est évidemment une astuce pour ne pas avoir des personnages à la personnalité malléable (de toute façon, aucune personnalité n’est totalement malléable), mais ça m’a aussi aidé à m’identifier à Vincent en prenant la voie de la fidélité et de la spéculation sur les bénéfices de la relation officielle sauvée, en me disant que si Vincent était avec Katherine et flippait autant, c’était parce qu’il avait de bonnes raisons de tenir à elle. On voit toujours plus facilement les défauts et les côtés chiants sur le long terme de toute façon, aucune nana n’y n’échappe et je pense que c’est pareil pour les mecs.
Après, j’avoue que le même jeu avec un point de vue de fille serait vraiment bienvenu pour tout le monde, malgré le risque (ou la nécessité) de caricature. Faut convaincre Atlus de faire une équipe principale composée majoritairement de filles et de s’attaquer au projet, maintenant :D
(juste une précision, quand je critique le manque de subtilité, je parle vraiment de l’aspect narratif, pas du gameplay : je ne demande surtout pas une « simulation de vie de couple », pitié non :D Je préfère préciser car c’est la deuxième fois que l’on me fait la remarque aujourd’hui =) )